A Victoria

« A Victoria » est le récit d’une femme, Nadine, dont la maman, Victoria, est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Lisez-le comme on lit une correspondance…

Première lettre

« Depuis le décès de papa, je m’occupe de maman. Je suis devenue sa moitié et ses souvenirs, tout du moins ce qu’il en reste… car la maladie d’Alzheimer est venue s’inviter sournoisement. Nous sommes trois à présent…


La maladie nous a d’abord éloignées : beaucoup de questions, de tensions, d’incompréhension, d’impuissance et surtout de déni avec l’espoir que ce n’était qu’un mauvais passage…
Avec le temps, j’ai du prendre la difficile décision de trouver une structure pour l’accueillir. Je devais sans cesse trouver des arguments pour lui faire comprendre que j’étais de son coté et non contre elle. Je ne voulais en aucun cas la blesser. Au début, chaque visite a été un déchirement car maman voulait rentrer chez elle avec moi. Je devais ruser avec le personnel soignant pour pouvoir m’éclipser sans trop la perturber. J’allais la voir tous les jours et je rentrais complètement anéantie de devoir nous faire subir cela. Nous étions toutes les deux en souffrance mais nous avions besoin l’une de l’autre…

J’ai longtemps culpabilisée mais je sais maintenant que c’était la bonne décision.

Aujourd’hui, à un stade avancé de la maladie, l’amour que l’on se donne est vivant. Mais il nous en a fallu du temps pour arriver à nous retrouver malgré la maladie… »

Deuxième lettre

Lettre

« La vie en structure a été un terrible bouleversement dans la vie de maman. Elle qui était toujours prête à faire plaisir aux autres ; elle qui trouvait toujours des choses à faire pendant ces courts moments de répit ; elle qui aimait cuisiner, coudre, tricoter, jouer aux cartes entre amis ; elle qui adorait par-dessus tout la musique polonaise… Et danser en amoureux avec papa.Elle qui, du jour au lendemain, a perdu ses repères…

D’actrice, elle est devenue spectatrice de sa vie. Elle s’est retrouvée entourée de personnes inconnues, plus ou moins valides, et d’un personnel soignant maître de ses jours et de ses nuits. Elle donnait l’impression d’être l’ombre d’elle-même. Elle passait son temps à longer les couloirs, d’une fenêtre à l’autre en attendant que j’apparaisse. Comment voulez vous que je ne me sois pas sentie coupable les premiers mois de lui avoir volé une part de sa vie ? Je n’avais, hélas, pas le choix.

Peu à peu, maman a fini par se faire des amis. Elle a pris l’habitude de participer aux activités de l’après-midi (loto, atelier peinture, atelier mémoire, gym tonic …). Elle descendait à la salle à manger avant l’heure du repas pour mettre la table. Elle allait même chercher des résidents en fauteuil roulant pour les emmener à la salle à manger. Elle était l’une des rares personnes valides. Tous les mois, le foyer organisait un goûter d’anniversaires avec deux musiciens, Maman était toute excitée à l’idée de danser.

Mais la maladie a continué à s’emparer d’elle. Elle est devenue solitaire, refusant de participer aux animations. Je pense qu’elle se rendait compte que son état se dégradait. Elle est devenue agressive verbalement envers tout le monde, moi y compris. Elle s’est mise à se braquer, à bouder, à pleurer. Elle avait des hallucinations et elle était en colère lorsqu’on la contrariait. Je ne savais plus comment réagir, je ne la reconnaissais plus. Il fallait que je trouve quelque chose pour retrouver une part d’elle. J’avais bien des idées mais je voulais avoir l’avis de personnes plus compétentes que moi. Je me suis donc adressée au corps médical et, là, à ma grande surprise, j’ai eu des avis totalement contraires.

J’ai donc décidé d’écouter mon cœur…

Troisième lettre

Lettre

« J’ai donc demandé à maman ce qui lui ferait plaisir et, à ma grande surprise, elle m’a répondu qu’elle voulait de la laine pour faire des pompons, des crayons de couleur et des albums de coloriage. Le lendemain, je suis arrivée avec le matériel sous le bras. Maman était contente et a immédiatement voulu commencer son travail. Elle s’appliquait à colorier et me montrait son chef d’œuvre terminé, fière d’avoir su colorier sans dépasser. Est-ce que je devais l’encourager au risque de l’infantiliser ? Lui expliquer qu’il est anormal de faire du coloriage à 80 ans ? Mais au fond, qu’est-ce qui est normal ? Beaucoup de questions trottaient dans ma tête et j’avais beau retourner la situation dans tous les sens je ne trouvais pas de réponse. Désemparée à nouveau…

A chacune de mes visites, j’essayais de lui faire travailler sa mémoire en regardant les nombreux albums de photos anciennes qu’elle possède. C’est là qu’elle me racontait les anecdotes du temps passé, me citant les moindres détails, sa mémoire intacte. On riait de tout et de rien. J’essayais de lui trouver d’autres centres d’intérêt en écoutant de la musique polonaise. Là, maman rayonnait. Elle sifflait, chantait, se mettait à danser et je me prenais à son jeu. On dansait des polkas toutes les deux dans sa chambre. Même les aides soignantes qui passaient régulièrement entraient dans la danse.

Hélas, ces moments de connivence ont été de courte durée. Son état s’est à nouveau dégradé. Du jour ou lendemain, on a dû lui imposer des protections car elle ne savait plus se contrôler. Ce passage obligé a été une source d’angoisse et d’humiliation pour maman et de grande peine pour moi. Comment accepter que celle qui m’a accompagnée dans l’apprentissage de la propreté, de la parole et des valeurs qui m’animent en soit réduite à porter des couches. Maman s’est repliée sur elle-même…

Un jour, je suis arrivée dans sa chambre et je l’ai retrouvée recroquevillée dans son fauteuil avec une peluche dans les bras. Elle n’a pas remarqué ma présence et je l’ai entendu se confier à cette peluche. Lorsqu’enfin elle m’a vue, elle m’a présenté cette peluche comme étant « son chien », celui qu’elle avait dans « son autre maison », la maison de son enfance. D’abord choquée, je n’ai pas su réagir. J’ai essayé de lui expliquer qu’il s’agissait d’une peluche mais maman refusait mon explication et me demandait pourquoi j’étais si méchante envers son chien…Désormais elle se promène partout avec « son chien ». Elle le prend même aux repas et devient agressive envers les autres résidents qui se moquent d’elle. Elle passe son temps à le cajoler, le coiffer, le nourrir enfin tout ce qu’on peut faire avec son animal de compagnie. Cette peluche l’accompagne et la rassure… »

Dernière lettre

Maman s’enfonce chaque jour un peu plus dans sa maladie et son monde dont je fais partie maintenant. Pour l’apaiser, j’ai appris à « rentrer dans son jeu ». Quand je viens la voir elle m’embrasse, me sert dans ses bras, me tient la main, me réclame des caresses et me donne ses peluches pour que je les embrasse et les cajole aussi. C’est essentiel à son bien être et au mien par la même occasion. Je lui ramène tous les jours quelques douceurs, elle adore les fruits, le chocolat, les gâteaux, surtout ceux fait par Céline sa petite fille qu’elle a en partie élevée et tant aimée. A chaque visite, nous partageons ces moments de tendresse et de complicité. C’est ce qui nous reste. Cette maladie et la douleur de voir petit à petit un être cher se dégrader et perdre toute sa dignité, ne nous a pas vaincues..

Si je suis arrivée à accepter la maladie de maman, à mieux la comprendre et à réagir de la sorte, je le dois essentiellement à ma famille (mon mari, ma fille, mon beau fils) et à mes amies, toujours là pour moi dans les moments les plus difficiles. J’ai eu le privilège d’être entourée et je mesure ma chance car je sais que l’épreuve d’une maladie peut anéantir une famille. Ne pas se laisser accaparer au point de se couper de la vraie vie est un combat de plus à mener.

Un grand merci aussi à la psychologue qui m’a conseillé de prendre contact avec l’association France Alzheimer. J’ai pu participer à leur formation des aidants, formation totalement gratuite. Il y a eu beaucoup d’échanges ; chacun dans le groupe était respectueux de l’autre car nous étions tous dans la même souffrance et le même désarroi. Je recommande à toutes les personnes qui ont un proche concerné par cette maladie de franchir les portes de l’association et de se laisser guider par ces personnes formidables qui vous permettent de vous délester.

Famille, amis, professionnels, je ne remercierai jamais assez chacun d’entre vous…

Récit de Nadine recueilli par Nathalie Cuvelier

Merci à Nadine de nous avoir fait confiance pour adapter son long récit au format web…

Si vous souhaitez vous aussi partager une manière d’être aidant, contactez-moi.

Ce récit sera également publié prochainement sur Aidant attitude.

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